Architecte associé: Passelac & Roque
Bueaux d'études: Ingénierie : Grontmij - Economie : Cholley Minangoy - Acoustique : Therminbel - Paysage : In Situ
Maître d'ouvrage: Région Languedoc-Rousillon / Maître d'ouvrage Mandataire: Roussillon Aménagement
Référent: Ivar Houcke Responsable Technique SAEM Roussillon Aménagement
Ni oubli ni pardon
Il ne nous appartient pas ici d’être détaché de l’histoire du camp Joffre, par une prise de parole indifférente au drame humain qui s’est déroulé en ces lieux. Le Mémorial est silencieux et pesant, il est là pour prendre les coups à la place des autres. Pour les absents. Il faut bien que quelque chose incarne la responsabilité de la mémoire. Ce mémorial est dans la terre et dans l’axe de l’îlot F, avec une détermination calme et silencieuse, monolithe de béton ocre, intouchable, incliné vers le ciel. A la fois enfoui et surgi de la terre, le Mémorial affleure le sol naturel peu après l’entrée du camp, pour s’étendre vers l’extrémité Est de l’ancienne place de rassemblement, jusqu’à une hauteur égale à celle du faîtage des baraquements. Cette disposition, en co-visibilité, n’encombre pas la lecture des caractéristiques de l’îlot. L’érosion, parfois la destruction de certains bâtiments provoquées par la force du temps, sont perceptibles, marquant ainsi l’effacement et l’absence, questionnant le visiteur sur le souvenir ou l’oubli. La reconquête acharnée du site par une végétation spontanée et vivace n’est pas altérée, mais mise en valeur pour constituer un espace de déambulation libre, propice au recueillement et à la sérénité. A l’ouest du Mémorial, certaines baraques sont confortées, recréant la spatialité sérielle et aliénante du camp, la végétation est supprimée pour laisser place à un univers aride et plat, sans ombre, au vent. Depuis le parking, situé à l’angle extérieur Sud-Ouest de l’îlot, le visiteur a une vue d’ensemble sur le camp. Il gagne ensuite la piste d’accès, située dans l’axe de l’entrée. Depuis cette piste, il gagne soit l’entrée du camp, soit le parcours de visite extérieur ouvert sur le ciel, les Corbières et les Pyrénées si proches... Il est possible de s’y arrêter, de méditer, de se recueillir un moment en ce lieu. Depuis la piste, le visiteur gagne l’entrée et découvre l’intérieur de l’îlot F à partir de l’axe d’un monument silencieux. L’accès au Mémorial se fait de manière indirecte, par une rampe partiellement enfouie dans la terre du camp, sacralisant ainsi le mégalithe, et devenant sas d’introduction à un voyage dans le temps. Ce tunnel débouche de manière frontale, comme par surprise, à quelques mètres d’un bloc de 220 mètres de long, opaque et intemporel. Après deux foulées dans la lumière, le visiteur se retrouve dans ce monolithe dont il ne sait pas encore qu’il n’entretient de rapport qu’avec le ciel. Le hall d’accueil, où flotte une atmosphère calme et sereine, est enveloppé par une lumière tamisée. Elle prédispose à la visite. Face à elle, un long mur, vide de tout élément, dans lequel est ménagé un passage, une énigme. Une fois engagé, le visiteur se retrouve dans un espace énigmatique créant tension. Il ne perçoit qu’une faible lumière rasant le sol et les parois de béton ocre. La perception est sourde et solennelle. Il s’agit d’un long couloir, relativement étroit. Le visiteur avance, curieux, jusqu’aux surfaces d’exposition. Il frôle par moments d’autres visiteurs, dans le sens contraire à sa marche. L’atmosphère incite au silence. Les surfaces d’exposition temporaire et permanente, sont regroupées en une grande salle hypostyle éclairée artificiellement depuis le sol, et par les projections d’images de grande taille à même les parois verticales en béton. Le dispositif scénographique est modeste, sans grandiloquence, à distance des murs, et permet une lecture complète du volume de la salle. La visite se poursuit par un retour dans la galerie, en sens inverse. Le visiteur quitte alors le Mémorial pour rejoindre le camp et sa lumière aveuglante. Le parcours extérieur continue librement sur un chemin formant une boucle autour du musée, marquant la fin de la visite. Le Mémorial ne propose aucune vue sur l’extérieur, à part vers le ciel. En revanche, des microcosmes sont présents ici et là dans l’enceinte du bâtiment. Trois patios structurent l’organisation des espaces pédagogiques, de l’espace de détente et des bureaux, tout en apportant un certain confort. Il s’agit de trois univers qui diffèrent selon leur vocation. Ce projet est dans l’acceptation. Acceptation de
l’îlot, de sa trame, de sa géométrie militaire devenue aliénante, de son Histoire. Acceptation du vent qui passe. Les éoliennes voisines sont la preuve que notre époque cohabite avec le vent. Elle peut alors cohabiter avec son Histoire. Le Mémorial de Rivesaltes, comprimé entre terre et ciel, entre passé et mémoire, se situe très exactement dans le présent et la vie. Dans ce milieu désertique, à quelques dizaines de mètres il n’existe déjà plus. Incarne-t-il la rencontre que les français aujourd’hui n’ont pas pu faire avec la réalité de l’histoire du lieu ? Alors, il sera cette rencontre qui n’a jamais eu lieu. Sa violence formelle témoigne de l’impossibilité de l’oubli ! Excavation et pétrification d’une mémoire effacée.
Rudy Ricciotti Août 2005