Biennale de Venise 2016 - Commissariat du Pavillon Français
Il fut un temps où l’Architecture, c’était naturellement
l’architecture pour tous, en lien avec l’économie et les
évolutions sociales.
Dans un certain sens, Jean-Louis Cohen a témoigné lors de la dernière biennale de cette énergie politique, de la mobilisation de l’industrie, de la créativité nécessaire pour étendre le plus largement possible les effets de l’architecture. Nous avons été baignés de ce positivisme. Le travail de Gropius et de Taut – des dizaines de milliers de logements, pour tous, à une qualité optimale-, les engagements humanistes d’Alvar Aalto, les positions de Le Corbusier, l’inventivité généreuse de Prouvé, l’extraordinaire bouillonnement sur le logement, encore dominant il y a vingt ans, est notre héritage.
Il faut dire qu’il nacquit dans un siècle traversé par deux guerres, qui nous laissa, à deux reprises, exhangues et dévastés, où il fallut reconstruire, puis croître, à toute vitesse. Souvenonsnous que la maison Domino est une réponse aux désastres des premiers mois de la « grande guerre » autour de la frontière belge. Nous étions il y a près d’un siècle dans l’état que les réfugiés d’aujourd’hui ont quitté. Assoupis désormais dans le confort déclinant qui est le nôtre, il faut qu’Aravena nous secoue, et restaure comme une évidence la nécessité de cet engagement
passé.
Il faut dire qu’il parle depuis un autre pays, un autre monde, le Chili, un pays immensément prospère de ses ressources, mais où les inégalités entre très riches et très pauvres sont un point de départ, un état des choses, et non pas, comme en Europe, le début d’une longue dégringolade, que chaque jour de la « crise économique » actuelle confirme : oui, les écarts se creusent, la classe moyenne se fragilise, certains territoires décrochent.
Nous reconnaissons dans les propos d’Aravena beaucoup de nos engagements. Avec une certaine distance : qu’est-ce que la France, dans son pavillon de la biennale, peut apporter de singulier au débat qu’il appelle de ses voeux ?
Par ces nouvelles du front, en France, nous voulons montrer comment la condition économique qui s’installe durablement – inégalités croissantes, financiarisation, concurrence métropolitaine mondialisée – suscite des organisations nouvelles qui déplacent le sens de la richesse. C’est une approche résolument optimiste. Nous ne croyons pas au vertige de la concurrence des territoires, nous croyons au contraire qu’il y partout d’immenses ressources, des complémentarités, des valeurs latentes à mobiliser, révéler, fertiliser.
C’est un des rôles de l’architecture d’aujourd’hui. Les politiques publiques s’étiolent, l’urbanisme contemporain assemble des produits immobiliers dont le relookage façadier peine à masquer la standardisation étriquée et, ça et là, quelques centaines de millions de dollars donnent à deux ou trois grands couturiers de dispendieuses illusions.
Nous voulons témoigner de tout le reste, moins visible, émergeant pourtant de partout, sur des territoires
ordinaires, et qui révèle des richesses insoupçonnées. C’est le sens de notre travail conjoint, à une génération d’écart. Notre candidature est ainsi l’histoire d’une heureuse coïncidence. Nous ne témoignerons pas par nos travaux, ni insisterons sur une génération. Il s’agit plutôt d’un moment singulier de l’architecture, en France.
Nous témoignerons à travers le travail d’autres architectes, d’autres expériences, que nous irons chercher partout sur le territoire français.