La maison de l’architecture du 19e arrondissement une promenade sur la ville
Ou comment offrir au citadin la possibilité d’observer et d’intégrer les différents éléments constitutifs de l’urbain
« La ville n’est homogène qu’en apparence. Son nom même prend un accent différent selon les endroits où l’on se trouve. Nulle part – si ce n’est dans les rêves – il n’est possible d’avoir une expérience du phénomène de la limite aussi originaire que dans les villes. Connaître celle-ci, c’est savoir où passent les lignes qui servent de démarcation, le long des viaducs, au travers des immeubles, au cœur du parc, sur la berge du fleuve ; c’est connaître ces limites comme aussi les enclaves des différents domaines. La limite traverse les rues ; c’est un seuil ; on entre dans un nouveau fief en faisant un pas dans le vide, comme si on avait franchi une marche qu’on ne voyait pas. »
Walter Benjamin, Paris capitale du XIXe siècle
La croisée des lignes, la cohue des passages, l’écho urbain, nous voici sur le boulevard de la chapelle, au-dessus des rails de chemin de fer partant de la gare de l’est, le long du métro aérien.
Ici, l’environnement immédiat n’est que flux, vitesse, tumulte. Ce paysage innervé d’acier offre au promeneur une démultiplication des perspectives ; saturé par la juxtaposition des infrastructures de transport, l’espace semble fragmenté et se multiplier à l’infini.
Les tranchées créées par le réseau ferroviaire ouvrent vers l’horizon, vers le ciel de Paris. Mais elles laissent aussi en jachères les coteaux qui les surplombent.
Ainsi, ces failles urbaines partiellement suturées par des ponts ont laissé comme des « chutes », des terrains délaissés au fort potentiel d’urbanité. Car ces terrains a priori non constructibles et effectivement non construits se situent à la croisées des flux qui animent notre capitale. Comme des nœuds où se concentrent et se rencontrent les différents niveaux, les différentes strates d’infrastructures et de populations qui les empruntent.
Nous nous trouvons donc sur un coteau, en équilibre entre le pignon aveugle du prochain immeuble et le vide donnant sur les rails en contrebas. Ce pignon qui s’offre au regard est comme une toile de projection de l’imaginaire, une surface d’ancrage des rêves de la ville ; comme un témoin privilégié des transformations successives qui se sont opérées dans Paris pour que les citadins y circulent, y entrent, en sortent.
Située sur le tracé de l’ancienne enceinte des Fermiers généraux, cette fine bande de terre abandonnée au-dessus de laquelle s’élève ce pignon vierge est le lieu choisi pour y élever la maison de l’architecture du 19e arrondissement.
L’exiguïté de la surface au sol nous pousse à considérer la surface verticale présente comme terrain à bâtir.
Le projet de la maison de l’architecture s’inscrit dans une démarche de réutilisation de ce type d’espace en utilisant le pignon comme fondations du futur bâtiment et le mettre en connexion avec tout le reste du site, comme un projet de conscience dans le but de rendre intelligible les interactions entre les différents éléments acteurs de la ville.
La morphologie essentiellement verticale du terrain engendre le dessin et la destination du bâtiment. La maison de l’architecture du 19e est une boussole au milieu de cet imbroglio d’axes à traverser. Elle existe dans le but d’offrir un temps de pause pour se repérer dans la ville, une promenade entre parenthèse depuis les entrailles jusqu’aux cimes de Paris.
« La vue depuis la voie peut être un jeu dramatique d’espace et de mouvement, de lumière et de texture, embrassant une échelle nouvelle. Ces longues séquences pourraient rendre intelligibles nos grands territoires métropolitains : le conducteur verrait comment la ville est organisée, ce qu’elle symbolise, comment les habitants l’utilisent et quel est son propre rapport avec elle. … »
Kevin Lynch, The view from the road
Nous voilà au cœur de l’écrin, véritable ventre protecteur, l’intérieur est calme, comme un silence dans une partition urbaine déchaînée. La peau d’acier perforée filtre la lumière et offre une ambiance tamisée propice à la contemplation, au repos. Le visiteur prend de la hauteur, et du recul sur la ville. Elle est à ses pieds, lisible avec ses réseaux qui se déploient du centre vers la périphérie, avec sa ligne de ciel morcelée, avec son sol éventré qui laisse entrevoir ses entrailles d’acier.
La passerelle d’arrivée mène jusqu’au cœur de la parcelle, le long des voies. Le volume des expositions temporaires est encore suffisamment proche du sol pour que l’on se sente encore dans la cité. Le train passe, fait vibrer la structure et nous continuons à nous élever au-dessus des voies ferrées, et une douce sensation de vertige nous envahit.
Puis le visiteur arrive au point culminant, à cette canopée visuelle où les ramifications de la nature urbaine deviennent simples, lisibles, poétiques. Le mouvement répété presque musical de l’escalator nous propulse vers la bibliothèque. Il agit comme un tunnel virtuel court instant obscure, transition visuelle, marquée de lumières artificielles colorées. Nous voilà dans la bibliothèque où règne une ambiance tranquille, on commence à s’éloigner du grand chaos urbain, les sons se font plus lointains, feutrés. Des cadrages ménagés dans la peau laisse entrevoir la gare de l’est et son désordre de cables. Les rails et les cables sont autant de points de fuites qui créent une perspective exceptionnelle vers le cœur de Paris. Le visiteur s’extirpe du fauteuil dans lequel il s’était oublié et reprend son chemin vers les hauteurs. Il gravit à présent une rampe qui le mène tout la –haut. Il arrive au point culminant ; à cette canopée visuelle où les ramifications de la nature urbaine deviennent simples, lisibles, poétiques. Un café juché au sommet du bâtiment offre donc de larges vues sur Paris et sa banlieue. Cette balade architecturale pourrait se déployer à l’infini, et c’est peut être tout l’enjeu du projet et du rôle de l’architecture dans la ville, elle se doit de créer de l’imaginaire, de l’interaction, de la critique pour que lorsque l’on quitte un lieu, une exposition, des gens ; on en garde pour longtemps imprégné en soi les odeurs et les sensations plastiques provoquées lors de ce déhanchement piéton.