“35e anniversaire du Quartier Muyssaert – retour sur la fabrique du premier quartier de regénération”
Nem Architectes + R Architecture + Claas Architectes + LPAA Architecture + Studio 1984 - BTP Paysage - Franck Boutté - Jean Couvreur
Nous sommes le 23 octobre 2050 et le quartier Muyssaert s’apprête à fêter son 35e anniversaire. Le projet retrace l’histoire d’une regénération esquissée en 2015 puis accélérée après le crash boursier de 2018 qui prive l’échelon local des apports du grand capital… Lille doit compter sur ses propres forces et s’appuyer sur la tradition d’innovation sociale et technique de son grand territoire pour organiser la résilience, libérer l’imagination, encourager les initiatives. Procédant à rebours, ce récit argumenté n’omet aucun détour du chemin parcouru et multiplie les références à bon escient. Ses auteurs se mettent en scène aux côtés des édiles et des acteurs au premier rang desquels figure l’université catholique présente sur le secteur à travers l’ICAM dont les équipes sont devenues pionnières en regénération urbaine. Empreinte de réalisme, la fiction apparaît crédible.
Se replaçant dans une démarche participative pour l’instant fictive, l’équipe de conception énonce les six principes fondateurs qui ont prévalu à la regénération du quartier. Enoncés dans une charte édictée par la Municipalité en 2016, ces principes sont toujours d’actualité 35 ans plus tard…
Dicté par la thermodynamique, le premier consacre la problématique carbone soulevée par le développement urbain : “rien ne se perd, tout se transforme”. Du mérite d’exister aux vertus du réemploi, tout conduit à réinvestir au maximum la ville existante pour promouvoir une économie décarbonée.
Le deuxième principe porte sur la “compensation carbone” à mettre en place entre la construction neuve et la réhabilitation pour lisser le bilan global du quartier. Il bénéficie de fait au parc ancien objectivement désavantagé.
Le troisième principe est la “fertilisation”, laquelle commence par la libération des sols avec la déportation des autos dans des parkings silos et le décapage des couches imperméables pour revenir à la terre et préparer le retour de la nature et des cultures. C’est la condition d’une nouvelle attractivité du quartier entraînant diverses activités et réappropriations dont la tour EDF investie par les associations et coopératives, y compris l’Atelier d’urbanisme citoyen qui conduit la regénération.
En découle le quatrième principe de “relocalisation de la production” qui réduit en proportion les déplacements des biens et des personnes, condition sine qua non pour atteindre une économie décarbonée (réduction de facteur 4). La mise en culture des sols tend vers l’autonomie alimentaire du quartier, avec marché quotidien sous la halle et plate-forme de vente régionale via un marché flottant sur la Deûle. Le renouveau de l’artisanat est favorisé par le développement des outils numériques et autres imprimantes 3D, via l’incubateur, en lien avec l’ICAM et les ateliers populaires (essor du do it yourself). Apparition d’une monnaie locale, la Brik’… Une micro production d’énergie diverse et disséminée, souvent autoconsommée, accompagne le mouvement et apporte la flexibilité requise par les réseaux locaux.
Le cinquième principe, “partage et mutualisation”, fait de la mise en réseau des énergies et de l’économie coopérative les principaux modes du développement local, tous secteurs confondus, de la production alimentaire à l’habitat. Le partage de l’énergie est érigé en principe, les micro centrales d’électricité et de chaleur communiant dans une boucle d’échange à l’échelle du quartier, avec stockage souterrain intersaisonnier dans la nappe. Partie de la voiture et des moyens de locomotion, la mutualisation s’étend à l’usage des bâtiments remis en cause dans leur fonctionnement par l’essor des réseaux informatiques, par exemple ceux de l’ICAM libérés par la généralisation des MOOC, etc. Du partage de l’énergie au opartage des savoirs.
Enfin, le sixième et dernier principe est la résultante des cinq autres : “slow city” consacre un urbanisme concerté et citoyen énoncé depuis la base (bottom-up), une densité relative laissant la place aux autres fonctions vitales dans une vraie mixité sectorielle, une mobilité choisie et non subie misant sur des modes doux et de partage… Jusque dans les airs avec le retour des dirigeables.
Appliqués à tous les aspects de la vie urbaine et de la ville, ces six principes fondateurs remodèlent le quartier dans ses espaces publics et ses bâtiments selon une frise chronologique précisément arrêtée, validant chaque étape du scénario, témoignages des habitants à la clé. La fiction s’écrit aussi dans les plans et l’architecture des bâtiments revisités : l’agora ouverte en hémicycle sur la Deûle, l’ex tour EDF surélevée et investie de manière multifonctionnelle, les halles métalliques Transpole reconverties en marché couvert et la halle béton en Discobière, brasserie et lieu de vie nocturne mais encore de diffusion des MOOC en journée… Mais encore, le hangar devenu parking silo puis batterie de stockage du quartier avec l’essor des véhicules électriques, l’habitat repris par les coopératives et réhabilité, les hangars et entrepôts mutés en lieux d’activités… Toutefois, le fait générateur reste la reconquête des sols par le végétal pour l’agrément de tous et les cultures de subsistance, dans une qualité environnementale retrouvée. Même les éléments de mobilier et d’agriculture urbaine sont passés en revue.
La frise chronologique qui pointe les temps forts de cette regénération intègre l’impact cumulé de ces actions sur les émissions de carbone, figurant une division par quatre en 35 ans à partir du bilan carbone effectué par Lille Métropole en 2007. L’histoire est belle, reste à la démontrer.
François Lamarre